compte rendu intégral

Présidence de M. Loïc Hervé

vice-président

Secrétaires :

M. Guy Benarroche,

Mme Alexandra Borchio Fontimp.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à quatorze heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 15 février 2024 a été publié sur le site internet du Sénat.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté.

2

Mises au point au sujet de votes

M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.

M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, lors des scrutins publics nos 129, 130 et 131 portant respectivement sur les articles 1er, 2 et 4 de la proposition de loi visant à améliorer et garantir la santé et le bien-être des femmes au travail, Patricia Schillinger souhaitait voter pour.

M. Patrick Kanner. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Guillaume Chevrollier.

M. Guillaume Chevrollier. Monsieur le président, lors du scrutin public n° 131 portant sur l’article 4 du même texte, Alexandra Borchio Fontimp souhaitait s’abstenir.

M. le président. Acte est donné de ces mises au point, mes chers collègues. Elles figureront dans l’analyse politique des scrutins concernés.

3

Communication relative à une commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi renforçant la sécurité et la protection des maires et des élus locaux est parvenue à l’adoption d’un texte commun.

4

 
Dossier législatif : projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Discussion générale (suite)

Congrès et assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie

Adoption en procédure accélérée d’un projet de loi organique dans le texte de la commission

Discussion générale (début)
Dossier législatif : projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie
Article additionnel avant l'article 1er - Amendement n° 1

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi organique portant report du renouvellement général des membres du congrès et des assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie (projet n° 290, texte de la commission n° 336, rapport n° 335).

La procédure accélérée a été engagée sur ce texte.

Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.

M. Gérald Darmanin, ministre de lintérieur et des outre-mer. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai l’honneur de vous présenter ce projet de loi organique, dont l’objet est simple, puisqu’il prévoit le report des élections provinciales de Nouvelle-Calédonie à une date non fixée, mais ne pouvant aller au-delà du 15 décembre de cette année. Si le Parlement ne votait pas ce report, ces élections devraient se dérouler au printemps prochain.

Il faut noter que le congrès de Nouvelle-Calédonie a émis un avis favorable sur ce report. En d’autres termes, une partie des indépendantistes et une partie des non-indépendantistes ont voté pour les dispositions figurant dans ce projet de loi organique.

Compte tenu de son urgence pratique, ce texte est dissocié d’une autre réforme, que le Gouvernement a soumise au Parlement et que le Sénat examinera dans les semaines à venir, visant au « dégel » du corps électoral pour les élections au congrès et aux assemblées de province de la Nouvelle-Calédonie.

En Nouvelle-Calédonie, territoire de 270 000 habitants, on dénombre trois listes électorales : une liste électorale nationale, pour élire le Président de la République et les députés ; une liste électorale dite référendaire, pour que les Calédoniens puissent se prononcer sur l’avenir de leur pays – par trois fois au cours du premier quinquennat du Président de la République, ils ont voté oui ou non à l’autodétermination comme cela était prévu par l’accord de Nouméa – ; une liste électorale provinciale, les provinces étant des régions disposant de plus de compétences que celles de l’Hexagone.

Ces trois listes électorales ne sont pas toutes concernées par la modification constitutionnelle que le Gouvernement propose : seule sera visée la liste électorale des élections provinciales.

Le Conseil d’État, dans son analyse sur l’accord de Nouméa, a en effet considéré que les dispositions électorales pour les élections provinciales, notamment le tableau des électeurs, étaient de nature constitutionnelle. C’est l’objet du texte complémentaire que le Gouvernement a déposé, qui est inscrit à l’ordre du jour des travaux de cette assemblée pour la fin du mois de mars, mais qui ne se comprend pas sans le report de la date des élections provinciales aujourd’hui soumis à votre examen, mesdames, messieurs les sénateurs.

L’accord de Nouméa a créé une citoyenneté calédonienne, complémentaire à la citoyenneté française. Cette citoyenneté calédonienne ne se traduit que par le droit de voter aux élections propres à la Nouvelle-Calédonie. Seules des personnes disposant de la citoyenneté calédonienne, au sens électoral du terme, peuvent voter pour élire, tous les cinq ans, les membres du congrès et des assemblées des trois provinces.

Concrètement, ce corps électoral est restreint : il compte aujourd’hui 178 000 inscrits, contre 221 000 pour la liste électorale générale, celle qui permet d’élire le Président de la République en Nouvelle-Calédonie.

En d’autres termes, en Nouvelle-Calédonie, un électeur sur cinq ne dispose pas du droit de suffrage aux élections locales. Cela concerne parfois des Calédoniens nés de parents calédoniens : ils ne peuvent pas voter à des élections qui décident pourtant de l’avenir économique, social ou culturel de leur territoire. Avouez que cette situation pose à tout le moins de graves problèmes démocratiques au regard des standards tant de la France que de tous les pays qui se revendiquent des démocraties.

En 1999, au moment où ces décisions ont été prises alors que Jacques Chirac était Président de la République, cet écart n’était que de 7 %. Il se creuse mécaniquement chaque année, le corps électoral provincial étant gelé depuis la révision constitutionnelle de 2007.

Cette déconnexion croissante entre le corps électoral spécial et le corps électoral général est un sujet politique majeur en Nouvelle-Calédonie. Le « dégel » du corps électoral est en effet la première des revendications du camp dit non indépendantiste, alors que le Front de libération nationale kanak et socialiste (FLNKS), qui représente le camp dit indépendantiste, rappelle que le corps électoral restreint est une émanation de la citoyenneté calédonienne, consacrée par l’accord de Nouméa.

La question du corps électoral a également constitué pour le Gouvernement un sujet majeur de préoccupation depuis la reprise des négociations au mois de septembre 2022, que j’ai l’honneur de conduire sous l’égide du Président de la République. Elle a d’emblée été posée comme un fil rouge dans les négociations. On peut admettre qu’au nom de la citoyenneté calédonienne le droit de vote pour les élections provinciales soit restreint aux personnes solidement établies sur le territoire autonome de Nouvelle-Calédonie.

Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement ne vient pas vous demander de dégeler totalement le corps électoral pour les élections provinciales ; il accepte l’idée qu’un corps électoral soit restreint par rapport à ce qui existe dans les autres territoires ultramarins et, bien évidemment, sur le territoire hexagonal. Je signale que seule la Nouvelle-Calédonie connaît ce régime électoral spécifique ; nulle part ailleurs, y compris dans les autres territoires autonomes de la République, cela n’existe.

C’est donc avec la modération nécessaire que le Gouvernement, qui entend la préoccupation politique, symbolique et bien sûr électorale de chacun des partis politiques qui composent la Nouvelle-Calédonie et qui sont reconnus par la Constitution comme concourant à la démocratie, considère qu’après trois référendums d’autodétermination ayant conclu au maintien sans contestation de la Nouvelle-Calédonie dans la République française, il n’est plus acceptable, d’un point de vue tant juridique que politique, d’exclure systématiquement du suffrage tous les citoyens français qui se sont installés après 1998 sur le territoire – il y a plus de vingt-cinq ans ! – et de voir des Calédoniens nés en Calédonie ne pas pouvoir voter à des élections locales.

Dans ce contexte, le Gouvernement, puis le Chef de l’État lui-même à Nouméa, ont toujours affirmé leur intention de procéder à un dégel du corps électoral, puisque ce gel était la conséquence des dispositions transitoires prévues par l’accord de Nouméa et la réforme constitutionnelle de 2007 concernant des élections locales et le corps électoral local, en attendant les réponses des Calédoniens aux trois référendums qui étaient prévus et qui ont été organisés.

La démarche du Gouvernement procède d’une initiative unilatérale. Le Gouvernement a d’ailleurs prévenu depuis deux ans que, si un accord politique global n’était pas trouvé en Nouvelle-Calédonie, il n’avancerait pas sur d’autres sujets, par respect pour les parties prenantes.

Je pense par exemple à l’organisation des institutions en Nouvelle-Calédonie, qui mériterait d’être rénovée – ce territoire compte cinq institutions pour 270 000 habitants –, à la coexistence de trois codes de l’environnement, cette compétence dépendant des provinces, à la situation de la filière nickel, qui est plus que complexe et qui dépend des autorités calédoniennes. Que cinq institutions traitent d’un dossier comme l’économie ne permet sans doute pas la plus grande efficacité. Je pense aussi aux simplifications qu’il peut être utile d’apporter à toute institution démocratique.

Un autre sujet concerne les modalités de l’autodétermination. Même si aucun référendum ne sera organisé dans les années qui viennent, il est évident que le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes figure dans la Constitution. Le Gouvernement l’a toujours garanti et il faut désormais mettre en place des modalités pour appliquer ce droit, même si cela doit se faire à l’échelle de plusieurs générations.

Il ne faut pas sous-estimer les difficultés de ces discussions locales. Au bout de deux ans de discussions – j’ai moi-même fait sept déplacements en Nouvelle-Calédonie au cours de ces deux dernières années –, cet accord local n’existe pas encore. Pour autant, nous sommes confiants et pensons que, grâce à l’action des acteurs locaux, quels qu’ils soient, un tel accord se dégagera.

Le Gouvernement propose donc de maintenir les élections provinciales, quitte à les décaler de quelques mois – en démocratie, il faut tenir à peu près à l’heure les échéances électorales. Mais nous devons surtout permettre aux électeurs qui sont nés sur un territoire depuis plus de vingt-quatre ans de voter aux élections locales.

Malgré des discussions constructives tout au long de l’année 2023, nous avons constaté au début de l’année 2024 qu’aucun accord définitif n’est pour l’instant prévu entre le FLNKS, qui considère peut-être que rien ne presse, et les partis dits loyalistes ou non indépendantistes. C’est pourquoi le Gouvernement n’a pas enclenché de révision constitutionnelle globale.

Le Gouvernement a donc pris ses responsabilités et vous propose, d’une part, le report des élections provinciales – c’est l’objet de ce projet de loi organique –, d’autre part, le dégel à dix ans du corps électoral pour pouvoir organiser ces élections provinciales – ce sera l’objet du projet de loi constitutionnelle.

Le gel du corps électoral n’est conforme ni aux principes essentiels de la démocratie ni aux valeurs de la République. C’est une position politique que l’État assume depuis très longtemps et pas seulement une préoccupation d’ordre juridique. Chacun en conviendra, la vie démocratique et la continuité des institutions ne peuvent s’interrompre éternellement faute d’un accord local.

Il ne s’agit pas pour le Gouvernement de changer la façon dont les électeurs pourraient choisir leur avenir institutionnel. Il ne s’agit pas non plus pour lui d’imposer de nouvelles dispositions sans que les partis en soient d’accord. Il s’agit d’autoriser les Calédoniens à choisir leurs élus locaux – je parle ici devant la Haute Assemblée – dans des conditions au minimum conformes à celles d’une démocratie qui se respecte.

Le Gouvernement propose donc dès aujourd’hui le report des élections provinciales à une date que l’on pourrait qualifier de raisonnable, à savoir le 15 décembre 2024, pour donner aux négociations politiques locales une chance d’aboutir, tout en permettant l’adoption de la révision constitutionnelle permettant le dégel du corps électoral dans l’hypothèse où ces négociations n’aboutiraient pas. Le Conseil d’État a considéré que ce report constituait un motif d’intérêt général.

Lors de mon audition par la commission des lois, j’ai entendu les doutes de M. le rapporteur sur la capacité réelle du Gouvernement à convoquer des élections dans les temps.

Tout d’abord, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous rappelle que le congrès de la Nouvelle-Calédonie est lui-même en faveur de cette date, tout comme l’est une partie des indépendantistes qui le composent, puisque ce texte a été approuvé par trente-huit voix contre seize en janvier dernier.

Techniquement, l’État est en mesure de tenir cette échéance. Le projet de décret pour réviser les listes électorales est prêt. Il est même dans mon dossier et à votre disposition. (Ah ! sur de nombreuses travées.)

M. Rachid Temal. On veut bien le voir !

M. Gérald Darmanin, ministre. M. le haut-commissaire, à qui j’ai rendu visite voilà encore quelques jours, et ses services sont en ordre de bataille pour procéder aux opérations techniques dès l’entrée en vigueur du dispositif, c’est-à-dire dès que le Parlement aura voté cette disposition.

La responsabilité du calendrier relève donc d’abord du Parlement et de la capacité des deux chambres à voter conforme le texte constitutionnel. Le Gouvernement a fait son travail et il est tout à fait prêt à tenir les élections au plus tard le 15 décembre 2024.

Le groupe SER a pris par deux fois l’initiative de déposer un amendement visant à repousser la nouvelle date du scrutin au second semestre 2025, au regard de la nécessité de laisser davantage de temps pour qu’un accord soit conclu.

Mesdames, messieurs les sénateurs, j’entends votre préoccupation de ne rien vouloir brusquer, elle est tout autant la mienne que celle du Gouvernement. Il est vrai que, pour une discussion locale, un délai de trois ans peut sembler bien trop court… (Sourires sur les travées du groupe RDPI.)

Si le Gouvernement propose le report au 15 décembre 2024, un décret – c’est ce qu’a précisé le Conseil d’État – permettra de reporter de plusieurs mois en 2025 les élections provinciales. Le ministre de l’intérieur que je suis, sous l’autorité du Président de la République, se réserve donc le droit de repousser par ce biais la date des élections locales, sans convoquer une nouvelle fois les assemblées sur cette importante question, si jamais un accord était près d’aboutir.

Il me semble cependant important qu’au bout de trois ans de discussions les Calédoniens puissent choisir leurs responsables locaux, alors même que la Nouvelle-Calédonie connaît des difficultés économiques extrêmement fortes, notamment dans le secteur du nickel, secteur pourvoyeur de plus de la moitié des emplois directs et indirects en Nouvelle-Calédonie.

Il n’est plus temps de procrastiner. Il nous faut pousser les uns et les autres à fixer une échéance précise pour que chacun puisse s’organiser, qu’une campagne électorale puisse se tenir, que l’expression des suffrages puisse être entendue, comme c’est normal en démocratie, et que le Gouvernement comme les acteurs économiques aient en face d’eux des responsables politiques légitimes capables de prendre des décisions, d’engager des investissements et de sauver – peut-être – des emplois par milliers.

Je rappelle que le gouvernement autonome de Nouvelle-Calédonie gère les sujets sociaux. En d’autres termes, c’est par les cotisations payées par les Calédoniens eux-mêmes que la protection sociale et sanitaire des habitants de Nouvelle-Calédonie est assurée. Moins d’emplois veut dire moins de cotisations sociales, donc moins de protection sociale.

Veillons par conséquent à ce que la procrastination politique n’emporte pas de conséquences négatives fortes sur la vie quotidienne des Calédoniens.

Le Gouvernement est animé de l’envie de rassurer tous les acteurs et de la volonté de discuter. Pour autant, nous ne pouvons pas reporter aux calendes grecques ces élections provinciales : la date du 15 décembre 2024, qui représente quasiment un report de neuf mois, ou le mois de novembre 2025, si le ministre de l’intérieur prend un décret en ce sens, ce qui convoquerait les électeurs plus d’un an et demi après les élections locales, nous paraît raisonnable en termes de négociation politique.

Je ne sais pas si beaucoup d’élus hexagonaux accepteraient que l’on reporte d’un an et demi les élections locales, qui plus est si des électeurs nés depuis vingt-quatre ans sur le territoire concerné par ces élections ne pouvaient pas voter. Cela donnerait certainement lieu à des discussions d’une autre nature, monsieur le président de la commission des lois…

Le Gouvernement reste ouvert à la discussion et, comme l’a indiqué le Président de la République, se dit prêt, grâce à un mécanisme à double détente, si je puis m’exprimer ainsi, à suspendre le processus constitutionnel si un accord plus global entre les partis indépendantistes et non indépendantistes était sur le point d’aboutir. Personnellement, c’est le vœu que je forme à cette tribune.

D’ailleurs, si un accord global, et pas seulement un accord sur la question électorale, était trouvé par les partis, le Gouvernement le prendrait comme tel et le présenterait devant les assemblées, puis devant le Congrès à Versailles, jouant alors le rôle d’arbitre qui est le sien.

Le Gouvernement de la République n’a pas ménagé ses efforts pour créer les conditions d’une négociation entre toutes les parties depuis la convention des partenaires au mois de novembre 2022. Nous ne pouvons que nous féliciter qu’un dialogue local entre les deux camps ait enfin pu s’établir, comme le démontre le communiqué de presse de l’ensemble des parties publié voilà plusieurs semaines.

À ma connaissance, ces discussions sont actuellement suspendues jusqu’à la fin du mois de mars prochain, dans l’attente de la réunion du FLNKS. Toutefois, certains acteurs que j’ai pu rencontrer sur place et que j’ai même eus encore tout récemment au téléphone évoquent la reprise de ces négociations. Ce calendrier est compatible avec l’examen du projet de loi organique à l’Assemblée nationale, qui aura lieu le 13 mai prochain, mais aussi avec la discussion par le Sénat du projet de loi constitutionnelle prévue dans les semaines qui viennent.

À la suite de mon dernier déplacement en Nouvelle-Calédonie, je reste optimiste, même si la prudence est de mise. Ce projet de loi organique prévoit le report des élections provinciales pour laisser le temps à la discussion locale, mais nous voulons aussi, à l’issue des trois référendums prévus par l’accord de Nouméa, réparer une injustice en permettant à de jeunes Calédoniens qui, depuis vingt-quatre ans, vivent sur cette terre de voter pour leurs élus locaux.

Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, tel est l’objet de la proposition du Gouvernement, dont j’espère qu’elle sera votée par votre assemblée, en attendant sa discussion à l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe RDPI.)

M. le président. La parole est à M. le rapporteur.

M. Philippe Bas, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et dadministration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai par rappeler l’attachement du Sénat à la Nouvelle-Calédonie et exprimer sa profonde estime pour tous les Calédoniens, qui ont su, dans l’histoire de la République, trouver entre eux des accords leur permettant de construire le présent et l’avenir du territoire.

Aujourd’hui, il nous faut traiter d’une question qui paraît anodine, mais qui ne l’est pas, à savoir la date des élections provinciales et du renouvellement des membres du congrès de Nouvelle-Calédonie. Derrière la demande que nous fait le Gouvernement se cache toute la question de l’organisation de la vie démocratique de la Nouvelle-Calédonie. Il y a, d’un côté, la démocratie calédonienne qu’il faut organiser et que l’on ne peut pas suspendre et, de l’autre, l’avenir de la Nouvelle-Calédonie.

Sur la démocratie calédonienne dont nous avons à débattre, le texte paraît simple : il s’agit de reporter les élections. Pour quelle raison ? Si elles n’étaient pas reportées, ces élections devraient se dérouler sur le fondement d’une liste électorale qui écarte aujourd’hui 19,3 % des électeurs en âge de voter en Nouvelle-Calédonie, contre seulement 7,5 % d’entre eux lorsque cette liste a été constituée. Pour accepter cette dérogation au principe de l’égalité de suffrage qui figure à l’article 3 de la Constitution, le constituant s’était appuyé sur cette donnée objective initiale.

Alors même que le processus juridique de transition qui a été amorcé par l’accord de Nouméa et organisé en application de cet accord par une révision constitutionnelle est achevé, cette nouvelle proportion pose évidemment problème.

Je ne discuterai pas ici du problème de principe : après tout, dans le passé, on a admis que les Calédoniens, par un accord passé entre eux, puissent proposer des dérogations à l’égalité de suffrage. En revanche, cela pose un problème de régularité des élections, celles-ci devant normalement se tenir au plus tard au mois de mai prochain.

Quoi que l’on pense des arrangements qui ont été trouvés dans le passé et de leur devenir, il faut bien que des élections soient organisées. Si elles l’étaient sur le fondement de la liste actuelle, ne doutez pas un seul instant, mes chers collègues, que le décret de convocation des électeurs serait attaqué…

M. Gérald Darmanin, ministre. Bien sûr !

M. Philippe Bas, rapporteur. … et que, si les élections se déroulaient, leurs résultats seraient contestés avec des arguments solides. Naturellement, ce n’est pas à la tribune du Sénat que doit être évaluée l’appréciation que pourrait en faire le juge des élections ; reste qu’il n’y a guère de doute que cette étape démocratique se terminerait dans des conditions extrêmement douloureuses.

C’est la raison pour laquelle le Gouvernement nous propose de modifier la liste, tout en indiquant préférer que cela se fasse sur le fondement d’un accord. Néanmoins, il dépose à titre supplétif un projet de loi constitutionnelle visant à modifier la liste électorale, de sorte que celle-ci puisse se rapprocher de l’inscription de l’ensemble des Français en âge de voter, sans tout à fait atteindre ce périmètre.

Aussi, pour que l’on ait le temps soit d’adopter une révision constitutionnelle, soit de permettre la conclusion d’un accord qui serait ensuite traduit par des textes constitutionnel et organique, il est nécessaire de reporter les élections.

Ce n’est tout de même pas une bien grande affaire que de reporter les élections dans une collectivité territoriale ! Nous avons de nombreux précédents, qui ont permis au Conseil constitutionnel de définir les conditions d’un tel report.

Il faut déjà un motif d’intérêt général. En l’espèce, il est tout trouvé. L’organisation d’élections d’ici au mois de mai prochain sur les bases actuelles entraînerait de très graves désordres du point de vue tant juridique que de la libre expression du suffrage universel. Il paraît impossible de contester ce motif.

Il faut par ailleurs que la durée de la prolongation soit raisonnable. Une discussion a eu lieu à ce propos. Après tout, le ministre est chef de son administration et, s’il nous assure que son administration est capable d’organiser un scrutin d’ici au 15 décembre prochain sur le fondement de nouveaux textes qui lui permettront de constituer la liste électorale,…

M. Gérald Darmanin, ministre. Oui !

M. Philippe Bas, rapporteur. … quelles raisons aurais-je d’en douter ? Qui plus est, si celle-ci n’y parvenait pas ou s’il y avait des motifs heureux, par exemple un accord, entraînant la nécessité de reporter une nouvelle fois les élections, nous serons là, monsieur le ministre. (M. le ministre acquiesce.)

Je tiens tout de même à vous dire que nous préférons que le Gouvernement n’évince pas le Parlement, qui trouve un intérêt à soutenir ses démarches dans la mesure où il peut ainsi en vérifier le bien-fondé. Cette question ne se posera que dans quelques semaines et nous aurons alors l’occasion d’en débattre.

Pour ce qui me concerne, je considère, d’une part, que la condition liée au motif d’intérêt général du report des élections est remplie, puisque l’on ne peut pas organiser ces dernières sur les bases actuelles, d’autre part, que la date du 15 décembre n’est pas trop éloignée. Elle pourrait, pour des raisons administratives, paraître trop proche, mais c’est votre affaire, monsieur le ministre ! Je suis trop soucieux de la séparation des pouvoirs pour faire reproche au Gouvernement de montrer un certain volontarisme ; que celui-ci me laisse sceptique ou non n’a en vérité aucune importance.

Cette première étape sera suivie d’une autre, autrement plus importante, puisqu’il nous faudra nous prononcer au travers d’un projet de loi constitutionnelle non plus sur le report des élections, mais sur la détermination du corps électoral. Cela peut paraître surprenant, car, pour l’intégralité des élections concernant les collectivités territoriales, il n’est pas besoin de recourir à une disposition de nature constitutionnelle.

En Nouvelle-Calédonie, on veut continuer à déroger à l’application stricte de l’égalité de suffrage, en se fondant sur l’entente consacrée par l’accord de Nouméa. Une cote mal taillée consisterait à accepter que tous les natifs soient inscrits et à y ajouter les Français se trouvant depuis au moins dix ans en Nouvelle-Calédonie. Ce nouveau collège électoral ne représenterait donc pas tous les électeurs présents en Nouvelle-Calédonie. Le Gouvernement nous proposera de ce fait une option intériorisant un compromis qui ne s’est pas encore noué entre les parties calédoniennes.

Monsieur le ministre, forts d’une longue expérience d’évolutions de la Nouvelle-Calédonie décidées par la négociation entre les Calédoniens sous l’égide de l’État, nous continuons de préférer cette formule. C’est pourquoi j’ai qualifié la révision constitutionnelle, sans faire offense à notre loi fondamentale, de « méthode supplétive ».

Nous souhaitons évidemment – tel est le cas de la commission des lois – pouvoir aboutir très rapidement à un accord en Nouvelle-Calédonie de sorte que nous puissions avancer sur le fondement d’un consensus plutôt qu’en nous appuyant sur une démarche que vous avez vous-même qualifiée d’« unilatérale » et qui ne peut constituer que la dernière option, à défaut de toutes les autres.

Voilà ce que je tenais à vous dire. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et INDEP. – MM. Olivier Bitz, Patrick Kanner et Hervé Marseille applaudissent également.)