M. Patrick Kanner. Très bien !

M. Thierry Cozic. Monsieur le ministre, la dépense publique ne saurait être considérée seulement comme un fardeau ; elle doit garder un sens redistributif, et continuer à assurer la gratuité d’accès à l’éducation et à la santé, tout en améliorant sa qualité. C’est fondamental pour contrer la montée du populisme. Sans une telle prise de conscience, vous condamnez notre pays au recul et vous poussez nos concitoyens vers les extrêmes. L’Histoire vous regarde et ne vous oubliera pas. (Applaudissements sur les travées des groupes SER et CRCE-K.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Bruno Retailleau. Messieurs les ministres, je vous ai écoutés avec attention et je trouve que vous ne manquez pas d’aplomb. Vous êtes satisfaits de votre œuvre,…

M. Albéric de Montgolfier. Il n’y a pas de quoi !

M. Bruno Retailleau. … pourtant, la situation budgétaire actuelle se caractérise par trois mots : le décrochage, la dissimulation, mais aussi la démission.

Ces trois mots résument les choix budgétaires irresponsables qui ont été faits ces dernières années et qui resteront, au regard de l’histoire, symbolisés par les 1 000 milliards d’euros d’endettement supplémentaires qu’aura accumulés Emmanuel Macron durant ses deux quinquennats.

Je commencerai par le décrochage.

Les choses sont claires : la France est désormais le pays le plus mal géré d’Europe. Sur le podium des contre-performances, nous sommes médaille d’or pour la dépense publique et médaille d’argent pour les prélèvements obligatoires.

C’est bien simple, notre pays ne brille désormais que par ses inconséquences. Quand on se compare, on se désole systématiquement.

Sur l’endettement, seules la Grèce, qui se relève budgétairement, et l’Italie font désormais moins bien que nous. Emmanuel Macron aura même fait moins bien que ses prédécesseurs. Je me souviens des deux crises survenues pendant le quinquennat de Nicolas Sarkozy : l’endettement avait alors augmenté proportionnellement à la moyenne européenne. Aujourd’hui, l’écart est de plus de vingt points.

Sur le déficit public, nous sommes à l’avant-dernière place, juste devant la Belgique. Vous n’atteindrez pas les objectifs que vous vous êtes fixés, parce que la trajectoire et les hypothèses sur lesquelles ceux-ci se fondent sont malheureusement fausses – j’y reviendrai.

Le problème, mes chers collègues, est que la France présente la particularité d’être le seul pays à cumuler déficit budgétaire et déficit commercial. C’est cela qui, malheureusement, nous singularise : l’État dépense plus qu’il ne gagne, mais le pays consomme plus qu’il ne produit ! Ce sont ce que l’on appelle des « déficits jumeaux » – il faudrait même plutôt parler, dans le cas de la France, de « déficits siamois » – qui se tiennent et s’entretiennent. Une telle conjonction est terrible pour notre nation.

J’ai entendu beaucoup de chiffres – c’est normal, s’agissant d’un débat sur un programme de stabilité des finances publiques –, mais ceux-ci dissimulent une réalité : la France et les Français. Notre pays est désormais menacé dans sa prospérité comme dans sa souveraineté.

Il l’est d’abord dans sa prospérité. On a menti aux Français en leur disant que la dépense publique faisait la croissance et la qualité des services publics. Si cela était vrai, notre pays se trouverait à l’avant-garde du bonheur universel, et nos grands services publics ne seraient pas en train de s’effondrer. Aujourd’hui, ils nous coûtent plus cher que ce qu’ils coûtent en moyenne dans les grands pays européens.

S’il était vrai que la dépense créait de la croissance, nous connaîtrions une parfaite corrélation entre ces deux dynamiques. Or considérons les chiffres, au-delà même des deux quinquennats d’Emmanuel Macron : depuis les années 2000, nous sommes au 168e rang. En d’autres termes, nous sommes les premiers en termes de dépenses publiques et parmi les derniers en matière de croissance, la nôtre étant extrêmement molle.

Pendant ce temps, la France s’appauvrit : c’est le sort d’un pays qui s’endette. En 2027, la seule charge de la dette, c’est-à-dire les intérêts d’emprunt, représentera l’équivalent du produit de l’impôt sur le revenu, et nous levons pratiquement tous les ans désormais près de 300 milliards d’euros sur les marchés.

Les Français s’appauvrissent également, avec un niveau de vie inférieur de moitié à celui des Américains – dans les années 1980, nous étions au même niveau… – et environ 5 000 euros de moins par an et par habitant que les Allemands.

Menacé dans sa prospérité, notre pays l’est évidemment aussi dans sa souveraineté, puisque la moitié de sa dette est détenue par des mains étrangères. Napoléon avait une très bonne formule, malheureusement oubliée : « La main qui donne est au-dessus de la main qui reçoit. » La France perd sa souveraineté budgétaire et financière ; or un pays qui ne tient pas ses comptes ne tient pas son rang.

Si le discours européen du Président de la République à la Sorbonne a sonné creux, c’est tout simplement en raison de notre rang et de la situation de nos finances publiques. Comment voulez-vous que le cancre de la classe européenne donne des leçons à tous les Français et « en même temps » à tous les pays européens ? C’est d’autant moins crédible qu’une procédure pour déficits excessifs sera engagée contre notre pays dans quelques semaines, après les élections européennes.

Après le décrochage, la dissimulation. Comme l’a souligné Jean-François Husson – je le dirai sans doute avec moins de talent que lui (M. le rapporteur général de la commission des finances sesclaffe.) – : vous saviez, et vous avez caché la réalité aux Français et au Parlement.

M. Thomas Cazenave, ministre délégué. Pas du tout !

M. Bruno Retailleau. Mais si, vous saviez ! Le Gouvernement savait que nous avions raison lors de l’examen du projet de loi de finances, quand le président et le rapporteur général de la commission des finances soulignaient que ses hypothèses étaient fantaisistes. Les Français ont désormais conscience de cela grâce au travail de la commission, et en particulier du rapporteur général, qui a effectué un contrôle sur place et sur pièces.

Monsieur le ministre, je vous ai bien entendu : vous vous dites ouvert à tous les patriotes et à tous ceux qui veulent relever la France – nous en sommes évidemment. Vous affirmez nous tendre la main, mais nous vous l’avions nous-mêmes tendue au mois de décembre dernier.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Nous avions proposé 7 milliards d’économies !

M. Bruno Retailleau. Pourquoi ne pas l’avoir saisie lorsque nous vous proposions 7 milliards d’euros d’économies ? Une main tendue, cela doit aller dans les deux sens.

Nous sommes évidemment disponibles pour relever le pays, parce que nous aimons la France. Pour nous, la politique du pire est la pire des politiques. Le problème est que vous persistez dans vos dissimulations et que vous vous défaussez.

Vous vous défaussez quand le Président de la République dit que la France « n’a pas un problème de dépenses excessives, mais un problème de moindres recettes ». Vous avez vous-même convoqué le registre de l’accidentologie, monsieur le ministre.

Comme à son habitude, le Gouvernement nous dit en substance : « Ce n’est pas ma faute ; c’est celle des autres. Nous avons eu un pépin météorologique. Cela nous est tombé du ciel. C’était imprévisible ; d’autres l’avaient prévu, mais pour nous, c’était imprévisible. » Non, ce n’est pas possible ! Ces propos sont la marque de l’imprévoyance et nier la réalité me semble une très mauvaise idée.

En plus d’avoir dissimulé, vous aggravez votre cas puisque vous persistez. Jean-François Husson a évoqué – peut-être cela n’a-t-il pas été suffisamment remarqué ? – les 16 milliards d’euros de reports. Voilà une façon de contourner le Parlement, alors que vous ne présenterez pas de collectif budgétaire à la représentation nationale.

Vous persistez dans des hypothèses dont tout le monde considère qu’elles sont intenables : la Cour des comptes, le Haut Conseil des finances publiques, les deux agences de notation – lisez leurs considérants ! – et même le Fonds monétaire international (FMI) dans son récent rapport.

Vous êtes seuls à y croire ; aucun autre institut ne pense que nous atteindrons l’objectif des 3 % en 2027. Non seulement nous serons le dernier des pays européens, mais, en plus, nous manquerons le but : un effort aussi important que celui que vous prévoyez sur trois ans ne s’est jamais vu au cours de notre histoire.

Après le décrochage et la dissimulation, la démission. Bruno Le Maire a rappelé à juste titre des exemples de pays d’Europe et d’Amérique du Nord qui se sont spectaculairement renforcés et redressés dans les années 1990. Je pourrais évoquer le Portugal, voire la Grèce. Rien n’est donc jamais irréversible. Pour autant, il faut agir avec détermination en actionnant les bons leviers.

Ces deux leviers – vous avez parlé tout à l’heure de « piliers » –, ce sont la création de richesses et la réforme, mais comme vous y allez à petits pas ou en zigzag, cela ne peut pas fonctionner.

En matière de croissance, de création de richesses, le problème français est le déficit de travail. Par rapport à la moyenne européenne, il nous manque trois semaines d’activité dans une année. Comment peut-on, sur cette base, se redresser et financer un modèle social généreux ?

Pourtant, le Premier ministre évoque la semaine de quatre jours pour la fonction publique, et vous accompagnez la SNCF ou les aiguilleurs du ciel dans des accords sociaux absolument scandaleux. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC.) Le contrat de travail unique (CTU), promesse présidentielle, dévalorise le travail.

M. Bruno Retailleau. Toujours le « en même temps » !

Quant à vos réformes, elles se limitent pour l’instant à la fin de l’École nationale d’administration (ENA) et à la fragilisation du corps préfectoral et du corps diplomatique, que le monde entier nous enviait.

Pour le reste, notre administration est toujours plus nombreuse et, malheureusement, toujours plus paupérisée. Dernièrement, à la suite des travaux de notre commission d’enquête sur le scandale McKinsey, vous avez créé une agence pour conseiller les agences, et recruté – je dis bien « recruté » et non « redéployé » – de nouveaux fonctionnaires pour conseiller les fonctionnaires existants. Telle est la réforme de l’État que le Gouvernement cherche à nous vendre !

Quid, en outre, de celle du modèle social et de la lutte contre le gaspillage ? Nous avons voté ici, il y a deux ans, la carte Vitale biométrique pour éviter les fraudes. Où en sommes-nous ?

Le Premier ministre semblait vouloir nous suivre dans une réforme réglementaire de l’aide médicale de l’État. Aujourd’hui, les Français qui cotisent vont payer plus cher leurs médicaments ; pour les clandestins, ce ne sera pas le cas. N’y a-t-il pas là un problème ? Ne pourrait-on pas répartir un peu mieux l’effort ?

Sur l’assurance chômage – Frédérique Puissat serait mieux placée que moi pour en parler –, la dernière réforme n’est toujours pas appliquée, son dernier décret date, il me semble, du mois de janvier 2023. Or vous nous en promettez une nouvelle, qui entrera en contradiction avec la précédente, laquelle était contracyclique. Comment une politique menée à ce point en zigzags pourrait-elle donner des résultats ? Voilà le problème fondamental d’Emmanuel Macron et du Gouvernement aujourd’hui.

Je vous le dis solennellement à cette tribune : votre trajectoire est fausse et vous ne redresserez pas les comptes. Vous avez creusé le déficit et la dette ; ce faisant, vous avez plombé l’avenir.

Balzac avait une très belle phrase ; monsieur le ministre, vous êtes un littéraire, vous l’apprécierez : « Une génération n’a pas le droit d’en amoindrir une autre. »

Vous plombez notre avenir, car nous sommes face à des chocs, à de grands défis démographiques et géopolitiques, au changement climatique. Il nous faut mobiliser des ressources, mais nous n’avons plus de marges de manœuvre. Face à de tels défis, il faudrait beaucoup plus qu’un programme de stabilité appuyé sur des hypothèses macroéconomiques hasardeuses et des promesses d’économies budgétaires totalement vaporeuses.

Nous avons besoin d’une rupture totale avec un modèle qui est désormais complètement dépassé, qui fonctionne comme un anti-modèle et qui est en train d’appauvrir les Français.

Certes, je me réjouis de l’absence de dégradation, car vous avez raison, nous ne saurions souhaiter le pire pour le pays. Si les taux d’intérêt s’étaient envolés, les Français auraient dû payer.

Je conclurai en rappelant le constat de Lawrence Summers, excellent secrétaire d’État du Trésor des États-Unis. Il remarquait qu’en matière d’économie, les choses vont beaucoup plus lentement qu’on ne le pense, mais que, quand les crises démarrent, elles vont toujours plus vite que ce que l’on croit. (Applaudissements sur les travées des groupes Les Républicains et UC. – M. le rapporteur général de la commission des finances applaudit également.)

M. le président. La parole est à M. Christopher Szczurek.

M. Christopher Szczurek. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, après sept ans de pouvoir, nous voilà à l’heure des comptes. Étonnamment, ceux-ci ne sont pas bons.

La France apparaît comme l’homme malade de l’Europe, au niveau de l’Italie et de la Grèce. Nous sommes devant le mur : il vous faut trouver 95 milliards d’euros pour faire d’un déficit abyssal un déficit seulement catastrophique d’ici à l’alternance de 2027. Autant dire que la mission est impossible avec votre prisme idéologique.

Aurez-vous le courage d’énoncer votre projet devant la représentation nationale ? Singulièrement, assumerez-vous devant le Sénat de diminuer encore les maigres subsides accordés aux collectivités ?

Certes, dans ce domaine, comme dans d’autres, des économies sont possibles, mais après les contrats de Cahors et autres inventions technocratiques, allez-vous restreindre une autonomie financière déjà fantomatique, ou limiter toujours plus la capacité d’investissement des collectivités, qui assurent pourtant 60 % de l’investissement public total et dont le rôle est central pour la transition écologique qui est sur toutes les lèvres ?

Plus grave encore, vous publiez des chiffres au mieux optimistes, au pire mensongers. Désormais, ni les agences, ni les institutions financières du pays, ni les marchés ne vous croient plus. Vous projetez une croissance de 1 % après l’avoir attendue à 1,4 %, quand l’OCDE l’estime à un faible 0,7 % pour 2024.

Le Sénat se souvient encore avec effarement combien, lors des débats sur le projet de loi de finances, vous vous étiez accroché à vos perspectives de croissance, dont tout le monde savait alors qu’elles étaient illusoires. Pour essayer de redresser la barre de ce Radeau de la Méduse, vous publiez en catimini un programme de stabilité et un plan de réformes particulièrement plat, répondant ainsi à des obligations européennes, lesquelles remettent par ailleurs en cause notre souveraineté nationale.

Comment vous faire confiance quand vous appliquez des méthodes qui ont abouti à 1 000 milliards d’euros de dettes supplémentaires, dont 700 milliards d’euros dus à la mauvaise gestion structurelle de nos comptes ?

Vous préparez ainsi une cure d’austérité souterraine. Quand vous attaquerez-vous enfin aux dépenses indues causées par l’immigration, par la fraude fiscale ou par la surcontribution au budget de l’Union européenne, au lieu de remettre systématiquement en cause les rares dispositifs efficaces créés lors de ce mandat, comme le compte personnel de formation (CPF) ?

Enfin, la situation appelle une prise de responsabilité politique. Les oppositions sont majoritaires au Parlement, nous attendons que les députés Les Républicains se décident, au risque d’être emportés dans la débâcle du pouvoir. Dans tous les cas, il nous faudra revenir aux urnes. Nous y sommes prêts.

D’ici là, il faudra à tout le moins présenter un projet de loi de finances rectificative. (M. Aymeric Durox applaudit.)

M. le président. La parole est à M. Emmanuel Capus. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. Emmanuel Capus. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, en matière d’économie, il y a deux excès à éviter : le premier, c’est l’excès d’optimisme ; le second, c’est l’excès de…

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Modération ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)

M. Emmanuel Capus. … pessimisme.

L’excès d’optimisme consiste à considérer que tout va toujours pour le mieux, que l’avenir est radieux et qu’il le sera toujours. On y cède lorsque l’on se focalise sur les bonnes nouvelles et que l’on néglige les mauvaises. Il s’agit d’une forme d’irénisme qui peut se révéler coupable. On s’y complaît lorsque l’on manque de lucidité, lorsque l’on refuse de regarder un danger en face ou lorsque l’on ferme les yeux sur les causes de ce danger.

L’excès de pessimisme est l’inverse : il consiste à tout voir sous un angle négatif, à tout critiquer par principe. C’est faire du mauvais temps une ligne de conduite. Ceux qui le pratiquent régulièrement ne savent plus comment réagir face à une bonne nouvelle : ils n’y voient même pas une éclaircie passagère, mais l’annonce d’une prochaine tempête, d’un désastre à venir.

L’excès d’optimisme trahit une confiance aveugle en l’avenir, l’excès de pessimisme, une forme de défiance. Ces deux excès nuisent à la confiance, qui est la base de l’économie. Pas de commerce, pas d’investissements, pas de recrutement sans confiance en l’avenir.

Or l’excès d’optimisme, comme l’excès de pessimisme, n’inspire pas confiance. Au contraire : les responsables politiques qui s’y adonnent risquent le discrédit ; parce qu’ils font la part belle à l’idéologie plutôt qu’au pragmatisme, ils manquent en fait de lucidité. Il est difficile de gagner la confiance lorsque l’on perd prise avec le réel.

Vendredi dernier, les agences de notation Moody’s et Fitch ont finalement maintenu la note de la France. C’est une mauvaise nouvelle pour ceux qui se réjouissaient par avance à l’idée de fustiger de nouveau la politique du Gouvernement. Pour notre groupe, c’est une bonne nouvelle : une dégradation aurait pu alourdir la charge de la dette, qui est toujours la pire des dépenses publiques. C’est, à mon sens, le sentiment qui devrait prédominer au Sénat.

Je vous rassure : il ne s’agit pas de considérer les agences de notation comme les juges ultimes de nos politiques économiques ; en revanche, on peut raisonnablement considérer qu’elles ne cèdent ni à l’excès d’optimisme ni à l’excès de pessimisme.

Elles ne notent pas l’état de nos finances publiques, qui résulte de décennies de laxisme budgétaire ; elles se prononcent non pas sur le passé, mais sur l’avenir. Vendredi, elles ont estimé que la France pourra rembourser sa dette. Pas plus, pas moins.

Le programme de stabilité trace un chemin dans cette direction. Comme notre rapporteur général, je trouve que le rythme de réduction du déficit n’est pas assez rapide.

M. Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est pas exactement ce que j’ai dit !

M. Emmanuel Capus. En la matière, on va rarement plus vite que ce que l’on a annoncé ; souvent, on va plutôt plus lentement. Alors, autant faire preuve d’ambition !

Je crois tout de même que ce programme de stabilité ne pèche ni par excès d’optimisme ni par excès de pessimisme. Certes, la prévision de croissance est supérieure à ce que nous avons connu lors des dernières années, mais je note qu’elle est inférieure au rythme que connaissait notre pays en la matière entre 2017 et 2019, sous le gouvernement d’Édouard Philippe.

Cette hypothèse de croissance, qui sous-tend l’ensemble du programme, est donc réaliste. Bien entendu, elle dépend largement des événements géopolitiques, en Ukraine, au Proche-Orient et particulièrement en Arménie – je reviens d’un déplacement dans ce dernier pays avec une délégation du groupe d’amitié présidé par Gilbert-Luc Devinaz.

Pour autant, le Gouvernement aurait sans doute versé dans l’excès de pessimisme s’il avait retenu l’hypothèse d’un embrasement généralisé menant à une troisième guerre mondiale.

L’important, selon nous, est de garder un cap clair : baisser les dépenses publiques pour réduire le déficit et amorcer le désendettement de la France. Notre groupe a fait plusieurs propositions en ce sens, que nous continuerons à défendre. (Applaudissements sur les travées du groupe INDEP.)

M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas. (Applaudissements sur les travées du groupe UC. – Mme la rapporteure générale de la commission des affaires sociales applaudit également.)

M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, je souhaite faire rapidement passer quelques messages.

À l’instar d’autres orateurs, j’aimerais souligner la difficulté extrême face à laquelle nous nous trouvons : nous constatons un dérapage de nos finances publiques, clairement documenté, avec une dette pour 2023 supérieure à la prévision de 0,9 point de PIB, et nous avons un problème de crédibilité, que le Haut Conseil des finances publiques a illustré.

Cela ne date pas d’aujourd’hui. Depuis vingt ans, il me semble qu’aucune loi de programmation des finances publiques n’a été respectée. Fort heureusement, les marchés achètent notre dette, qui reste un bon placement, mais cela ne pourra pas durer éternellement et la charge de la dette va devenir notre premier poste de dépenses.

Nous avons un problème de crédibilité à propos de l’horizon des 3 % en 2027, qui paraît difficilement atteignable : nous n’avons jamais baissé la dépense publique de 0,5 point de PIB par an. Nous voyons mal comment assurer le réglage entre les coupes budgétaires, le soutien à la croissance, le maintien d’une trajectoire pro-business, l’équité sociale et territoriale et la stabilité fiscale. C’est sans doute la quadrature du cercle.

La recherche de ce bon réglage doit nous mobiliser, notamment pour ce qui concerne les coupes budgétaires nécessaires et le maintien d’un certain niveau de croissance.

Augmenter le taux d’activité est évidemment la clé ; des progrès ont été réalisés à cet égard, il convient de les saluer. Il est nécessaire d’avancer dans cette voie, laquelle relève, à mon sens, du long terme.

Il est illusoire de penser que nos problèmes ne se régleront qu’avec de la croissance, comme de considérer que tout se résoudra avec des baisses de dépenses. Certes, on peut réduire quelques flux, fermer des robinets, mais de tels choix sont aussi récessifs, et leurs effets ne sont sans doute pas à l’échelle nécessaire.

Une redéfinition des missions de l’État, des choix de politique publique s’impose. Certains opérateurs de l’État y sont parvenus, nous devons nous en inspirer.

À court terme, il nous faut évidemment baisser nos dépenses, mais aussi augmenter un certain nombre de recettes. Outre la croissance, des mesures sont aujourd’hui sur la table, concernant la rente inframarginale de la production d’énergie – M. le ministre l’a évoquée tout à l’heure –, la taxe sur les rachats d’actions, voire sur un certain nombre de surprofits liés à la crise.

Nous devrons également nous poser la question de l’étalement de certaines baisses d’impôts en direction des entreprises comme des ménages. Certes, c’est douloureux, mais il devient difficile d’accroître soi-même la baisse de ses propres recettes !

Tout cela intervient, en outre, à un moment où nous devons investir dans l’innovation, dans l’intelligence artificielle, dans la transition écologique, dans la défense, dans la santé et dans le bien-vieillir, ce qui ajoute une grande difficulté.

Sur l’innovation, la transition écologique et l’intelligence artificielle, l’Union européenne doit sans doute prendre sa part : elle ne saurait être uniquement prescriptive.

La situation n’est donc pas facile. À la veille du scrutin européen, nous devons faire preuve d’un esprit de responsabilité. Faut-il déboucher sur une crise politique ? À mon sens, non. Je mesure que l’absence de majorité à l’Assemblée nationale rend le dialogue difficile ; il l’est nécessairement avec nous, car le Gouvernement a été conduit à agir par voie réglementaire. Un tel procédé nous heurte et n’est pas de nature à assurer la crédibilité des engagements pris.

Il revient au Gouvernement, selon moi, de créer les conditions pour dépasser une telle situation, car aller vers une crise politique qui s’ajouterait aux difficultés actuelles serait prendre un bien grand risque : les marchés financiers détestent ce genre d’incertitudes.

Nous devons sans doute concentrer l’action des pouvoirs publics autour de quelques priorités, parmi lesquelles le redressement des finances publiques.

Il convient également d’adapter la méthode, car nos concitoyens sont à juste titre inquiets quand ils mettent la somme des prélèvements fiscaux en regard de l’inefficacité de l’État sur bien trop de sujets.

Le groupe Union Centriste reste une force de proposition, mais ne peut pas masquer ses graves inquiétudes. (Applaudissements sur les travées du groupe UC.)

M. le président. La parole est à Mme Ghislaine Senée. (Applaudissements sur les travées du groupe GEST.)

Mme Ghislaine Senée. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, nous débattons aujourd’hui du programme de stabilité qui présente les prévisions de croissance et la trajectoire des finances publiques que le Gouvernement s’est fixée à l’horizon 2027, conformément aux obligations du pacte de stabilité et de croissance de 1997.

Rappelons-le, ce pacte prévoit que la dette représente moins de 60 % du PIB, avec un déficit annuel inférieur à 3 %.

Pour nous, écologistes, ce pacte européen est obsolète à bien des égards. D’abord, cela fait maintenant vingt-cinq ans que la France n’a pas été en mesure de le respecter. Ensuite, et surtout, dans le calcul des déficits, les investissements verts, qui préparent l’avenir et nous protègent, et les investissements bruns, qui accélèrent les crises climatique et sociale et menacent notre capacité à vivre, sont malheureusement mis sur le même pied.

Dans ce contexte, que dire de la feuille de route du Gouvernement présentée dans ce programme de stabilité ?

L’analyse économique du Haut Conseil des finances publiques, déjà abondamment citée, est sans appel : votre trajectoire pour nos finances publiques n’est ni crédible ni cohérente et vos prévisions sont si déraisonnablement optimistes que personne ne croit sérieusement que le déficit de la France passera sous le seuil des 3 % du PIB en 2027.

Cela pose question quant à l’application du pacte récemment réformé et voté par la majorité européenne, sans les voix écologistes, lequel fixe un nouvel impératif de 1,5 % pour les États, dont la France, ayant une dette supérieure à 60 % du PIB. Ce nouvel objectif apparaît comme totalement hors de portée.

Pour réduire les déficits, vous disposez de deux leviers directs : baisser les dépenses ou augmenter les recettes.

Depuis sept ans, vous décidez de priver le budget de l’État de milliards d’euros de recettes, en accordant des cadeaux fiscaux aux entreprises et aux plus aisés : suppression de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF), exonérations de cotisations, niches fiscales, suppressions d’impôts et de taxes… De tels choix politiques emportent des dépenses fiscales considérables.

Aussi, pour donner l’illusion d’une bonne gestion face à la Commission européenne et pour satisfaire les agences de notation, que vous chérissez particulièrement, vous n’actionnez qu’un unique levier : la réduction des dépenses publiques.

Il s’agit de l’option la plus inégalitaire, celle qui paupérise les plus précaires de nos concitoyens, en prévoyant un coup de rabot dans les politiques redistributives, lesquelles fondent notre pacte républicain, et dans les services publics, dont la qualité faisait jadis notre fierté.

De plus, ce choix sacrifie le climat, la biodiversité et la lutte contre les dérèglements climatiques, dont les effets sont exacerbés par le fonctionnement néolibéral prédateur des grandes entreprises du CAC 40. Depuis sept ans, ces dernières voient leurs impôts et leurs cotisations fondre, pendant que les aides directes qu’elles reçoivent pleuvent, encore et toujours, sans contrepartie.

Monsieur le ministre, vous avez évoqué tout à l’heure votre soutien à l’entreprise Renault. Comment votre gouvernement peut-il s’en réjouir, alors que la nouvelle Twingo électrique, qui devait être produite à Flins-sur-Seine, serait finalement fabriquée en Slovénie ? Cela provoquerait une dégradation sans commune mesure dans le monde de la sous-traitance et dans nos territoires. Des milliers d’emplois vont disparaître.

Quelles coupes soutenables dans les dépenses vous reste-t-il aujourd’hui ? La représentation nationale l’ignore : vous avez omis, jusqu’à ce matin, de nous transmettre le programme de réformes assorti au programme de stabilité. De plus, le document que nous avons reçu est pour le moins lacunaire : vingt-cinq pages, contre 247 l’an dernier, présentant un cap unique et inchangé : la « continuité des réformes réalisées depuis 2017 ».

Vous devez pourtant la vérité aux Français. Où allez-vous faire ces nouvelles économies ? Nous le savons déjà : ce sera probablement sur les prestations sociales : retraites, assurance chômage, minima sociaux ou allocations logement. Depuis sept ans, votre créativité antisociale n’a aucune limite. Cela concernera certainement aussi les 5,7 millions d’agents de la fonction publique. Licencierez-vous encore des enseignants, des militaires, des policiers, des personnels hospitaliers, des agents communaux ?

Nous pouvons jouer sur les mots, mais vous prévoyez bien une cure d’austérité, au risque d’annihiler la croissance de l’économie, déjà faible, et d’aggraver la situation, déjà bien dégradée.

Ainsi que les écologistes et d’autres forces politiques vous l’ont demandé lors des dialogues de Bercy, quand allez-vous tirer les conséquences de vos errements ? Quand allez-vous sortir de vos dogmes ? Quand allez-vous cesser d’asphyxier nos finances publiques et enfin apporter une réponse budgétaire fiable et responsable ? (M. le ministre pousse un soupir.) Vous pouvez souffler, monsieur le ministre, mais c’est la réalité : nous sommes nombreux dans cet hémicycle à vous le rappeler ! (Applaudissements sur les travées des groupes GEST et SER.)