Mardi 14 mai 2024

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 17 h 30.

Proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France - Examen du rapport pour avis

M. Cédric Perrin, président. - Mes chers collègues, nous examinons aujourd'hui le rapport pour avis de notre collègue Claude Malhuret sur la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France. Je souhaite la bienvenue à Agnès Canayer, rapporteur au fond pour la commission des lois.

M. Claude Malhuret, rapporteur pour avis. - Notre commission s'est saisie pour avis de la proposition de loi visant à prévenir les ingérences étrangères en France, qui sera examinée au fond demain par la commission des lois. Je tiens à remercier ma collègue rapporteur, Agnès Canayer, qui m'a associé à son programme d'auditions. Je précise d'emblée que je partage avec elle mes principales conclusions sur ce texte en vue de la discussion en séance publique, qui aura lieu mercredi 22 mai prochain. J'y reviendrai après une brève présentation du contexte et du dispositif de cette proposition de loi.

Ce texte, déposé à l'Assemblée nationale par notre collègue député Sacha Houlié, présente la particularité de mettre en oeuvre certaines recommandations du rapport de la délégation parlementaire au renseignement (DPR) qu'il a présidé au cours de la session précédente 2022-2023. Ce rapport avait pour thème principal la lutte contre les ingérences étrangères sur les intérêts français sur le territoire national et à l'étranger. Il dresse un panorama de l'état de la menace, notamment russe et chinoise, et propose des mesures ciblées pour améliorer le cadre légal de la contre-ingérence, c'est-à-dire mieux détecter et entraver les activités d'ingérences de puissances étrangères.

N'étant pas membre de cette délégation, à la différence de certains de nos collègues, dont Agnès Canayer, Gisèle Jourda et Cédric Perrin ici présents, je ne connais, pour ma part, que la version publique du rapport, dont certains passages et certaines recommandations sont classifiés. Je peux toutefois relever qu'il a été cosigné par notre collègue Christian Cambon, alors vice-président de la DPR pour le Sénat, et souligner que ce rapport a été adopté à l'unanimité des membres de cette instance interparlementaire. Malgré cette unanimité, on peut regretter que le texte n'ait été déposé et cosigné que par Sacha Houlié et les deux autres députés Renaissance membres de la DPR - Thomas Gassilloud et Constance Le Grip -, sans associer les sénateurs à un dépôt commun du texte dans chaque assemblée. Agnès Canayer m'a fait part de son étonnement à ce sujet, qui est, me semble-t-il, partagé par Christian Cambon et Cédric Perrin. Pour autant, la démarche n'entache pas, selon elle, le bien-fondé des mesures proposées.

Sur le fond, le texte reprend les quatre principales propositions du rapport. L'article 1er prévoit la création d'un répertoire numérique des représentants d'intérêts agissant pour le compte d'un mandant étranger - je précise que la formule « représentants d'intérêts » ne devrait pas être utilisée afin d'éviter toute confusion avec la loi Sapin 2 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique. Il s'agit de l'instauration d'un dispositif législatif ad hoc de prévention des ingérences étrangères, sur le modèle de la loi américaine dite « FARA » (Foreign Agents Registration Act). Cette loi a été votée par le Congrès en 1938 pour contrer les « puissances de l'Axe » de l'époque, notamment la propagande nazie. Cette législation a inspiré plus récemment le Canada, l'Australie en 2018 et le Royaume-Uni en 2023.

Il s'agit de rendre obligatoire l'enregistrement des acteurs influant sur la vie publique française pour le compte d'une puissance étrangère et de les soumettre à une série d'obligations déontologiques. Aux États-Unis, le dernier relevé d'inscription au registre du FARA date de 2021 et fait état de 492 déclarants actifs représentant 749 mandants étrangers. En cas de violation de l'obligation de déclaration, l'agent s'expose à une peine d'emprisonnement de quatre ans et à 250 000 dollars d'amende. Entre 1988 et 2020, le département de la justice américain a engagé 13 procédures pénales contre 14 organisations ou individus, qui se sont conclues par 13 condamnations.

Pour la France, le registre serait tenu par la Haute Autorité pour la transparence de la vie politique (HATVP) dans un registre distinct de celui des lobbyistes prévu par la loi Sapin 2, lequel comportait 2 476 représentants d'intérêts inscrits au répertoire numérique géré par la Haute Autorité en 2021. La proposition de loi punit le manquement à l'obligation d'inscription de trois ans d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende.

Comme ma collègue Agnès Canayer, je souscris à la nécessité de clarifier l'articulation entre ce répertoire et le dispositif issu de la loi « Sapin 2 », pour mieux distinguer les agents agissant pour le compte d'une puissance étrangère des représentants d'intérêts au sens classique du droit existant. Il doit s'agir de deux registres différents sans risque d'ambiguïté, ce qui n'apparaît pas si clairement dans le texte proposé par l'Assemblée nationale : je présente un amendement en ce sens, commun avec la rapporteure de la commission des lois.

L'article 2 prévoit la remise d'un rapport au Parlement sur l'état des menaces qui pèsent sur la sécurité nationale en raison d'ingérences étrangères. Il a été amendé à l'Assemblée nationale pour prévoir une remise tous les deux ans, et non chaque année. Il pourrait donner lieu à un débat en séance publique, sans vote.

L'article 3 étend aux cas d'ingérence étrangère la technique dite de l'algorithme, jusqu'alors réservée aux services de renseignement dédiés à la prévention du terrorisme. L'Assemblée nationale a allongé la durée de l'expérimentation à quatre ans et a prévu que le rapport d'évaluation de l'expérimentation détaille les conséquences de l'élargissement des finalités justifiant le recours à cette technique.

Deux précisions peuvent être apportées quant à l'évaluation et au contrôle de cette mesure. Premièrement, l'évaluation de l'efficacité de la technique de l'algorithme est en soi une gageure puisqu'elle est classifiée dans leur modus operandi. Le contexte de la loi de 2015 qui a autorisé l'usage de l'analyse algorithmique des données de connexion puis des consultations d'URL en matière de prévention du terrorisme a considérablement changé. En effet, il s'agissait originellement de détecter par la technique de l'algorithme des comportements liés à la menace exogène des retours de terroristes du théâtre syro-irakien. Or les modes opératoires ont évolué vers des profils très variés, avec des individus parfois inconnus des services et parfois déséquilibrés, difficiles à définir et modéliser dans des algorithmes.

Cette technique serait, selon nos auditions, plus adaptée à la détection des opérations d'ingérences qui font appel à des modes opératoires normés et détectables selon les pays d'origine de la menace, qu'il s'agisse d'attaques cyber, de fermes à trolls en matière de désinformation ou encore d'espionnage. Il sera par ailleurs toujours difficile d'en rendre publique l'efficacité, mais, à l'instar de la prévention du terrorisme, il ne fait plus de doute que cyberattaques, manipulation de l'information et menaces hybrides font partie de l'arsenal de puissances étrangères malveillantes qui en veulent à nos intérêts.

Deuxièmement, il est légitime, face à cette situation nouvelle, de se doter de nouveaux outils. À cet égard, il existe un double contrôle sur la validation des algorithmes et la levée de l'anonymat en cas de détection par la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR), dont notre collègue Charles Darras est membre.

L'article 4 prévoit la possibilité de procéder au gel des fonds et des ressources économiques des personnes se livrant à des actes d'ingérence. Il s'agit d'une mesure administrative nationale qui existe déjà en matière de terrorisme. L'étendre au domaine des ingérences soulève des réticences compréhensibles en termes d'attractivité bancaire de la France. Toutefois, le signal politique fort d'une telle mesure doit être soutenu, au même titre que les sanctions européennes de gel des avoirs russes ou encore de ceux des membres des gardiens de la révolution en Iran.

En outre, deux articles additionnels ont été adoptés par l'Assemblée nationale : un article 1er bis impose aux laboratoires d'idées - think tanks - de déclarer les dons et versements étrangers, tandis qu'un article 5 prévoit les modalités d'application des dispositions de la proposition de loi en Polynésie française, en Nouvelle-Calédonie et dans les îles Wallis et Futuna. Ils se justifient et n'appellent pas d'observation de ma part.

Sur l'économie générale de ce texte, je veux rappeler qu'il s'agit de mesures ciblées et relativement limitées. Ce texte n'épuise pas le sujet, ni au sens de la fonction d'influence appelée à devenir un objectif stratégique tel que défini par la revue nationale stratégique de 2022, ni au sens des recommandations de plusieurs rapports du Sénat comme de l'Assemblée nationale. Je pense, d'une part, au rapport d'information Gattolin sur les influences étrangères dans le milieu académique et universitaire, dont la DPR reprend de nombreuses propositions pour renforcer la protection du patrimoine scientifique et technologique de la Nation, ou de la commission d'enquête sur l'utilisation du réseau social TikTok dont j'ai été le rapporteur, sous la présidence de notre collègue Mickaël Vallet. À l'Assemblée nationale, le rapport de Constance Le Grip a également proposé des recommandations sur le thème des ingérences étrangères.

D'autre part, sur l'initiative de notre collègue Rachid Temal et du groupe Socialiste, Écologiste et Républicain, le Sénat a lancé une commission d'enquête sur les politiques publiques face aux opérations d'influences étrangères visant notre vie démocratique, notre économie et les intérêts de la France sur le territoire national et à l'étranger, afin de doter notre législation et nos pratiques de moyens d'entraves efficients pour contrecarrer les actions hostiles à notre souveraineté. Là encore, cette proposition de loi ne me semble pas préempter ces travaux et les recommandations qui en résulteront : je ne doute pas que ces dernières embrasseront un champ plus large.

Je vous propose en conséquence d'émettre un avis favorable à la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de trois amendements communs avec ceux de la rapporteure de la commission des lois et en rappelant que la rédaction qui sera soumise au Sénat sera celle qui sera adoptée demain par la commission des lois.

EXAMEN DES ARTICLES

Article 1er

M. Claude Malhuret, rapporteur pour avis. - L'amendement ETRD.4 vise à distinguer plus clairement le nouveau répertoire propre aux activités d'influence étrangère par opposition au répertoire existant institué par la loi dite « Sapin 2 », en supprimant systématiquement la référence à la notion de « représentant d'intérêts », qui n'est pas adaptée à la qualification d'activités d'influence étrangère.

L'amendement ETRD.4 est adopté.

M. Claude Malhuret, rapporteur pour avis. - L'amendement ETRD.5 vise à adapter et à étendre la liste des personnes avec lesquelles l'entrée en communication de l'agent d'influence donne lieu à obligation déclarative, en ajoutant aux représentants d'intérêts de la loi Sapin 2 les anciens Présidents de la République, les anciens membres du Gouvernement et les anciens députés ou anciens sénateurs, pour une durée limitée à cinq ans après l'expiration de leur mandat.

Par ailleurs, il a pour objet d'abaisser de 100 000 habitants à 20 000 habitants le seuil au-delà duquel l'entrée en contact avec les élus locaux des collectivités comme des groupements déclenche ces mêmes obligations. Enfin, il est proposé d'ajouter à cette même liste les candidats déclarés à une élection nationale - les élections législatives ou l'élection présidentielle - à compter de la publication officielle des listes des candidats déclarés, ainsi que les dirigeants de partis politiques.

M. Pascal Allizard. - Pourquoi ne pas avoir mentionné les députés européens ?

M. Claude Malhuret, rapporteur pour avis. - Il me semble que la formule « anciens députés » englobe les députés européens.

M. Mickaël Vallet. - Je me demande s'ils ne sont pas considérés comme des représentants de la France au Parlement européen et non pas comme des députés - sans minorer l'importance de leur mandat.

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois. - Les critères permettant de définir un acteur d'influence intègrent un élément intentionnel, à savoir le fait d'agir auprès d'une autorité publique ou sur la conduite d'une politique publique ou d'agir sur l'édiction d'une loi, d'un règlement ou d'une décision individuelle. Je pense que les députés européens sont exclus de cette définition puisqu'ils n'interviennent pas directement dans l'édiction de la loi.

M. Bruno Sido. - Je ne partage pas cet avis : la politique agricole est européenne et des agents peuvent fort bien tenter d'influencer les députés européens afin de l'orienter, par exemple vers une réduction de la production de blé qui pourrait profiter à la Russie.

M. Claude Malhuret, rapporteur pour avis. - Nous sommes d'accord sur le principe et l'essentiel des catégories visées. Je vous propose donc de voter l'amendement actuel et que la commission des lois approfondisse ce point demain. De plus, des amendements de séance pourront introduire des changements si besoin.

Mme Annick Girardin. - Vous avez évoqué une durée de cinq ans, alors que la HATVP applique la plupart du temps une durée de trois ans pour les ministres en matière de conflits d'intérêts : ne pourrions-nous pas harmoniser les dispositifs ?

Mme Agnès Canayer, rapporteur de la commission des lois. - Une durée de trois ans est fixée en matière de déontologie, tandis qu'elle est de cinq ans pour les ingérences étrangères. Selon Didier Migaud, il s'agit de la période durant laquelle les responsables politiques peuvent encore exercer une influence.

Mme Gisèle Jourda. - Nous exprimons les plus vives réserves sur cet amendement, qui entre en collision avec l'un des amendements que nous déposerons. Nous ne participerons donc pas au vote sur cet amendement.

L'amendement ETRD.5 est adopté.

Article 4

M. Claude Malhuret, rapporteur pour avis. - L'amendement ETRD.6 que je vous soumets, toujours en commun avec Agnès Canayer, vise à recentrer le champ d'application du gel des avoirs et des actifs prévu par la proposition de loi. Il s'agit de conserver un dispositif administratif, lequel sera complété par un dispositif pénal sous forme d'un article additionnel que la commission des lois examinera.

L'amendement ETRD.6 est adopté.

M. Jean-Baptiste Lemoyne. - Je reviens sur la remise au Parlement d'un rapport sur l'état des menaces prévu à l'article 2. Il s'agit là aussi de s'inspirer des pratiques d'outre-Atlantique et plus précisément du rapport ATA (Annual Threat Assessment). La mesure faisait également partie des recommandations issues des travaux de la commission des affaires économiques consacrés l'année dernière à l'intelligence économique.

D'ici à la séance, nous vous proposerons peut-être d'intégrer une autre recommandation de cette mission d'information visant à ce que le rapport du Gouvernement consacré au contrôle des investissements étrangers en France puisse donner lieu à un débat parlementaire. Nous nous livrerons d'ailleurs à cet exercice en avant-première le 29 mai prochain, puisque ce point est inscrit à l'ordre du jour de nos travaux en séance publique. Les menaces économiques, technologiques ou scientifiques qui pèsent notamment sur notre patrimoine industriel sont liées à cet article 2.

M. Cédric Perrin, président. - Je remercie les rapporteurs. Fortement préoccupée par les ingérences étrangères, la DPR a remis un rapport sur ce sujet l'an dernier. Le fait que l'Assemblée nationale ait pris cette initiative sans concertation avec le Sénat est contraire à l'usage, s'agissant de la DPR et m'a donc conduit à saisir le président de la commission des lois de l'Assemblée nationale sur ce point : en effet, il est d'usage que les travaux de la DPR soient conduits de manière collégiale, en associant députés et sénateurs et tel n'a pas été le cas pour les suites données à ce rapport, ce dont nous nous sommes fortement émus.

La commission émet un avis favorable à l'adoption de la proposition de loi, sous réserve de l'adoption de ses amendements.

La réunion est close à 17 h 55.

Mercredi 15 mai 2024

- Présidence de M. Cédric Perrin, président -

La réunion est ouverte à 9h30.

Audition de M. Jean-Marie Bockel, envoyé personnel du Président de la République pour l'Afrique (sera publié ultérieurement)

Cette audition sera publiée ultérieurement.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Cédric Perrin, président. - Notre ordre du jour appelle maintenant l'examen du rapport de M. Akli Mellouli sur le projet de loi autorisant l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Nous examinons aujourd'hui le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de la République fédérale d'Allemagne relatif à l'apprentissage transfrontalier.

Cet accord s'inscrit dans le cadre de la politique de coopération avec l'Allemagne, qui a été particulièrement marquée par le traité de l'Élysée de 1963, puis, plus récemment, par le traité d'Aix-la-Chapelle sur la coopération et l'intégration franco-allemandes du 22 janvier 2019. Un approfondissement des liens bilatéraux en matière transfrontalière, d'éducation, de recherche, de climat ou encore de politique étrangère y est prévu.

C'est dans ce cadre que la région Grand Est a mis en place un dispositif d'apprentissage transfrontalier avec certains territoires frontaliers allemands. D'abord réalisé sur la base d'expérimentation dès 2010, le dispositif a été formalisé par deux accords-cadres : l'accord-cadre relatif à l'apprentissage transfrontalier dans le Rhin supérieur du 12 septembre 2013, puis celui pour la coopération transfrontalière en formation professionnelle et continue Sarre-Lorraine du 20 juin 2014.

Ces deux accords-cadres étaient déjà fragiles dans la mesure où le droit ne prévoyait pas la possibilité de réaliser la partie pratique ou théorique de sa formation dans un autre pays que la France.

Surtout, la loi du 5 septembre 2018 pour la liberté de choisir son avenir professionnel a retiré aux régions françaises la compétence d'organisation et de financement principal des formations par apprentissage. Alors que, depuis la loi du 7 janvier 1983 relative à la répartition de compétences entre les communes, les départements, les régions et l'État, ces dernières occupaient une place centrale dans la définition de la politique d'apprentissage, désormais, l'État et France Compétences en sont les pivots politique et financier.

Les accords ont donc pris fin. Une procédure dérogatoire a été toutefois mise en place afin de maintenir provisoirement le dispositif. Ce sont les opérateurs de compétences, organismes agréés par l'État créés par la loi de 2018, qui prennent en charge les contrats d'apprentissage jusqu'à l'entrée en vigueur du présent accord, et au plus tard le 31 décembre 2024.

Depuis les accords-cadres de 2013 et 2014, plus de 500 jeunes ont bénéficié du dispositif, essentiellement du côté français.

Comme l'a souligné le Comité franco-allemand de coopération transfrontalière, institué par le traité d'Aix-la-Chapelle, dans un avis du 31 mai 2021, une solution pérenne devait être trouvée.

Les acteurs locaux ont joué un rôle prépondérant pour que l'apprentissage transfrontalier trouve enfin un cadre légal, en introduisant dans la loi dite 3DS du 21 février 2022 de nouvelles dispositions dans le code du travail relatives au développement de l'apprentissage transfrontalier. C'est plus précisément dans le chapitre V du titre III du livre II de la sixième partie du code du travail.

Mme Brigitte Klinkert, ministre déléguée chargée de l'insertion lors de l'examen du projet de loi et ancienne présidente du conseil départemental du Haut-Rhin, a déposé un amendement visant à encadrer l'apprentissage transfrontalier. Cet amendement a été élaboré sur la base des recommandations d'un rapport de l'inspection générale des affaires sociales (Igas). M. Sylvain Waserman, député, a également déposé un amendement relatif à l'apprentissage transfrontalier lors de l'examen du projet de loi, avec le soutien de la majorité présidentielle. Il a plus largement soutenu l'insertion dans le projet de loi d'un chapitre entier dédié à la coopération transfrontalière.

La loi 3DS prévoit expressément que « l'apprentissage transfrontalier permet à un apprenti d'effectuer une partie de sa formation pratique ou théorique dans un pays frontalier de la France » et que « les modalités de mise en oeuvre de l'apprentissage transfrontalier sont précisées dans le cadre d'une convention conclue entre la France et le pays frontalier dans lequel est réalisée la partie pratique ou la partie théorique de la formation par apprentissage ».

La loi autorisait le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnance toute mesure relevant du domaine de la loi afin de définir les modalités d'organisation, de mise en oeuvre et de financement de l'apprentissage transfrontalier. Elle a été publiée le 22 décembre 2022.

C'est donc sur la base de ces dispositions législatives que le présent accord a été conclu. Il s'agit du premier accord signé dans ce cadre légal.

Dès le printemps 2022, des contacts ont été pris entre les ministères français et allemands concernés. La signature de l'accord a eu lieu à Lauterbourg, le 21 juillet 2023, par les ministres des affaires étrangères des deux parties. Il s'inspire largement des précédents accords-cadres de 2013 et 2014 qui donnaient satisfaction aux deux parties.

Le groupe SER a demandé un retour à la procédure normale pour l'examen de ce projet de loi. À mon sens, deux aspects du texte pourraient être améliorés : l'évaluation du dispositif, notamment sur les entrées et sorties, et la question de la langue, qui pourrait être un levier essentiel de la coopération entre nos deux pays et permettre aux jeunes Français de bénéficier de plus d'opportunités d'emplois.

Sous réserve de ces observations, je préconise l'adoption de ce projet de loi.

M. Cédric Perrin, président. - En tant qu'élu d'un département frontalier de la Suisse et de l'Allemagne, je peux vous assurer que ces questions de coopération transfrontalière en matière d'apprentissage sont absolument fondamentales, sachant qu'il y a une vraie culture de l'apprentissage en Allemagne dont nous pourrions nous inspirer.

Je suis heureux de pouvoir avancer sur ces questions avec ce texte.

Mme Michelle Gréaume. - Je suis également élue d'un département frontalier de la Belgique. Il me semble que nous devrions faire une analyse plus poussée, car je crains que nos forces vives ne soient attirées par l'Allemagne ou la Belgique, où les salaires sont supérieurs, notamment dans certains secteurs où nous avons besoin d'une main-d'oeuvre très spécialisée. Cela ne va-t-il pas entraîner la fermeture de structures d'enseignement public en France ?

M. Akli Mellouli, rapporteur. - C'est déjà un phénomène que nous observons dans le monde professionnel. Aujourd'hui, beaucoup de villages français vivent grâce aux travailleurs transfrontaliers employés en Suisse ou au Luxembourg. Mais ce texte porte sur l'apprentissage. Il s'agit pour nos jeunes d'obtenir un bagage plus complet. Avec ces échanges en matière d'apprentissage, il me semble que nous apportons notre pierre à la construction européenne.

Nous sommes en retard par rapport au système éducatif allemand. Ces échanges nous permettraient d'évoluer dans le bon sens. Le risque est plus du côté de l'Allemagne en l'occurrence.

M. Cédric Perrin, président. - Je souscris complètement à ces propos. J'ai toujours du mal à convaincre les préfets de mon département de travailler sur cette question. Par exemple, Swatch, et ses plus de 1 000 emplois, est installée à deux kilomètres de chez moi, de l'autre côté de la frontière : 80 % des salariés sont Français ; 100 % des apprentis sont suisses. Nos villes et villages vivent essentiellement de la richesse apportée par ce travail frontalier. Malgré tout, mon département est l'un des plus industrialisés de France, avec 43 % d'emplois industriels. Il faut travailler davantage sur ce sujet avec les organisations patronales et salariales.

Mme Hélène Conway-Mouret. - Je suis d'accord également. Il y a un vrai consensus aujourd'hui sur les bienfaits d'Erasmus pour les universités françaises. Pendant, trop longtemps, l'apprentissage a été délaissé en France. Ce type d'accord est l'occasion d'y remédier. Il est temps de nous inspirer de l'Allemagne pour ce qui est des structures technologiques et professionnelles. Nos jeunes ont actuellement trop de mal à trouver des stages pour valider leurs diplômes.

M. Cédric Perrin, président. - C'est gagnant-gagnant pour les territoires. Si les entreprises de part et d'autre de la frontière ne trouvent pas de main-d'oeuvre qualifiée, elles s'en iront.

M. Akli Mellouli, rapporteur. - Il y a une valeur ajoutée pour nos apprentis. Notre main-d'oeuvre va gagner en qualité.

Le projet de loi est adopté sans modification.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l'État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces - Examen du rapport et du texte de la commission

M. Cédric Perrin, président. - Notre ordre du jour appelle enfin l'examen du rapport de M. Hugues Saury sur le projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le gouvernement de la République française et le gouvernement de l'État indépendant de Papouasie-Nouvelle-Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces.

M. Hugues Saury, rapporteur. - Le projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis concerne l'accord entre la France et la Papouasie-Nouvelle Guinée relatif à la coopération en matière de défense et au statut des forces, signé à Port-Moresby le 31 octobre 2022.

Le contexte de cet accord est celui du renouveau, depuis 2018, de la stratégie indopacifique française, avec, notamment, un partenariat renforcé avec la Papouasie-Nouvelle Guinée.

Avec un territoire de plus de 462 000 kilomètres carrés, soit l'équivalent de la superficie de la Suède, la Papouasie-Nouvelle Guinée occupe une place centrale dans le Pacifique Sud, entourée par l'Indonésie, l'Australie, la Nouvelle-Zélande, la Nouvelle-Calédonie, la Polynésie, la Chine, et le Japon plus au nord.

Les îles papouasiennes présentent le paradoxe d'être un territoire à la fois très méconnu et très courtisé par ses puissants voisins, pour lesquels elles constituent un enjeu d'influence majeur. Il demeure l'un des pays au monde les moins explorés.

Occupé aux trois quarts par une forêt primaire particulièrement dense, il est l'un des pays les plus ruraux au monde, avec une population vivant à 87 % hors des centres urbains ; sa société est majoritairement constituée de communautés traditionnelles, offrant une très grande diversité culturelle et linguistique - on y recense, suivant les sources, entre 700 et 850 langues, soit 10 % des langues parlées dans le monde. Ces tribus sont le plus souvent organisées de manière autosuffisante, sans accès aux capitaux étrangers.

Cet important isolement culturel et économique contraste avec l'intérêt qu'il suscite pour des partenariats dans les domaines les plus divers. En effet, du fait de sa situation géographique, il représente un enjeu majeur dans la compétition géopolitique à laquelle se livrent les principaux acteurs de la région, notamment la Chine, qui mène une politique d'influence très active dans la région, et l'Australie, qui, du fait de son passé colonial et de sa proximité, demeure un partenaire très présent. Pour illustrer cette rivalité acharnée, je ne vous citerai que les visites concomitantes, fin avril dernier, du ministre des affaires étrangères chinois, qui oeuvre à un futur accord de libre-échange, et du Premier ministre australien, qui entendait réaffirmer l'excellence de la relation bilatérale entre les deux pays. De leur côté, les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France multiplient également leurs efforts pour renforcer leur présence et leur influence dans l'état papouasien. Il est à noter que la France est le seul pays européen à disposer d'une ambassade dans ce pays.

La Papouasie-Nouvelle-Guinée adopte, face à cet environnement complexe, une stratégie prudente et ouverte. Faisant sienne la formule d'Houphouët-Boigny, elle se dit officiellement « amie de tous, ennemie de personne ». Ainsi, l'Australie, qui finance près de la moitié de son développement, demeure son principal partenaire commercial et financier, mais dans le même temps, la Papouasie-Nouvelle Guinée entretient des relations privilégiées avec la Chine, dont elle est le principal partenaire commercial du Pacifique insulaire, et qui détient 25 % de sa dette publique.

Cependant, il est intéressant de souligner que la Papouasie-Nouvelle Guinée entend clairement limiter l'influence chinoise aux domaines économique, commercial et de développement. En ce qui concerne les questions d'ordre politique et sécuritaire, elle demeure résolument tournée vers ses partenaires occidentaux, avec notamment la signature, le 23 mai 2023, d'un important pacte de sécurité avec les États-Unis, et, le 7 décembre dernier, d'un accord de sécurité approfondi avec l'Australie comportant un projet ambitieux de police du Pacifique et impliquant un volet de lutte contre la cybercriminalité.

La France, pour sa part, cherche à se positionner dans cet échiquier en multipliant les contacts au plus haut niveau, comme la visite du Président de la République à Port-Moresby en juillet 2023 et l'accueil à Paris du Premier ministre James Marape en septembre 2023 le montrent. La coopération franco-papouasienne est particulièrement approfondie dans le domaine environnemental, avec le projet de « plateforme pays », initié par la France en vue de rassembler des bailleurs internationaux pour financer la protection de la biodiversité et la préservation de la forêt. L'Agence française de développement (AFD) intervient en outre sur les enjeux liés au changement climatique. Enfin, la France participe aux opérations dites HADR (Humanitarian Assistance and Disaster Relief), la Papouasie-Nouvelle Guinée étant très exposée aux risques météorologiques, sismiques et volcaniques.

Dans ce contexte de lutte d'influence, l'accord qui nous occupe aujourd'hui vient renforcer la coopération franco-papouasienne en matière de défense en établissant bilatéralement un statut des forces armées, ce que l'on appelle communément un Sofa (Status of Forces Agreement).

Du point de vue opérationnel, la Papouasie-Nouvelle Guinée relève de la zone de responsabilité des Forces armées en Nouvelle-Calédonie (Fanc), soit un effectif de 1 500 militaires, essentiellement structuré autour du régiment d'infanterie de marine du Pacifique, de la base navale de Nouméa et de la base aérienne de Tontouta.

De son côté, l'armée papouasienne compte 3 600 soldats, pour un budget de 80 millions d'euros. Nettement sous-dimensionnée compte tenu de la superficie du pays et des troubles tribaux qui l'agitent périodiquement, elle compte sur ses partenaires pour pallier ses lacunes capacitaires.

La coopération actuelle entre nos deux armées se déroule actuellement dans le cadre d'arrangements techniques, voire informels, et permet d'ores et déjà la participation des forces papouasiennes aux exercices Équateur et Croix du Sud. Néanmoins, un cadre juridique plus solide et protecteur sera bienvenu afin de développer une coopération pérenne.

Pour ce qui est du contenu de l'accord en lui-même, il correspond en tous points aux standards français. Sa rédaction a été proposée par la France en 2022 et acceptée sans négociation par la partie papouasienne la même année.

Les formes de coopération impliquées par l'accord concernent notamment la formation, l'entraînement des forces, l'aide humanitaire, le conseil, le soutien technique et logistique. L'article 3 les définit par une liste non exhaustive. Aussi ai-je interrogé les commissaires du Gouvernement afin de m'assurer que cette rédaction n'était pas de nature à entraîner la France au-delà des domaines cités, dans des interventions qui s'avéreraient étrangères à la philosophie de ce texte. Les commissaires du Gouvernement m'ont pleinement rassuré sur ce point, confirmant qu'une telle dérive n'était pas possible dans le cadre de cet accord, qui régit la coopération bilatérale en temps de paix.

L'accord reprend par ailleurs les clauses standards des Sofa, précisant notamment les modalités de financement des opérations, de séjour et de circulation des troupes, de port d'arme, de règlement des dommages, de fiscalité, d'accès aux soins, d'échange d'informations. Il intègre enfin, bien que la peine de mort ait été abolie en Papouasie-Nouvelle Guinée en 2022, la clause de précaution selon laquelle la peine capitale ne peut être prononcée à l'encontre de personnels poursuivis sur le territoire de l'autre partie. Il s'agit là d'un garde-fou prudent, en cas de retour en arrière, même si rien ne laisse supposer que cela puisse être un jour le cas.

Compte tenu de ces éléments, je vous propose d'approuver ce texte, qui viendra consolider un partenariat stratégique que la France, comme la Papouasie-Nouvelle-Guinée, appelle de ses voeux, et renforcer la présence de la France dans une zone d'importance majeure, à savoir l'Indo-Pacifique. L'Assemblée nationale l'a, quant à elle, adopté le 10 avril dernier. Son examen en séance publique au Sénat est prévu le 19 juin prochain, selon une procédure simplifiée.

M. Rachid Temal. - Nous y sommes favorables. La Papouasie-Nouvelle-Guinée a-t-elle des accords de ce type avec d'autres pays ?

M. Hugues Saury, rapporteur. - Oui, avec l'Australie, l'Indonésie, les Fidji... Elle a des accords à la fois militaires et commerciaux avec des polarités différentes selon le domaine.

Le projet de loi est adopté, à l'unanimité, sans modification.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part et de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Alain Cazabonne rapporteur sur le projet de loi n° 544 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et la République d'Arménie, d'autre part, et de l'accord sur la création d'un espace aérien commun entre l'Union européenne et ses États membres, d'une part, et l'Ukraine, d'autre part.

Projet de loi autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense - Désignation d'un rapporteur

La commission désigne M. Étienne Blanc rapporteur sur le projet de loi n° 545 (2023-2024) autorisant l'approbation de l'accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République d'Indonésie relatif à la coopération dans le domaine de la défense.

Proposition de résolution sur le règlement relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense - Désignation d'un rapporteur

M. Cédric Perrin, président. - Dans le cas où la commission des affaires européennes adopterait une proposition de résolution sur le règlement relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense, je vous propose de nommer comme rapporteur notre collègue Jean-Luc Ruelle. Nous devons travailler sur ce sujet dans un délai très resserré, le passage en commission devant se faire début juin.

M. Rachid Temal. - Sur le dernier, point, il serait bien que nous ayons un temps de discussion politique avant la présentation du rapport, car il y a des enjeux stratégiques importants, notamment pour notre base industrielle et technologique de défense.

M. Cédric Perrin, président. - Je suis d'accord sur le principe. Vous pouvez prendre langue avec M. Ruelle pour présenter vos observations. Je propose que nous en reparlions lors du Bureau de la commission du 22 mai.

La commission désigne M. Jean-Luc Ruelle rapporteur sur la proposition de résolution sur le règlement relatif à l'établissement du programme pour l'industrie européenne de la défense.

La réunion est close à 11 h 45.